photos©Voyelle
"C'était l'âge d'or de Fécamp" de Laure
Banse
Résumé
"C’était l’âge d’or de Fécamp" rassemble les souvenirs de jeunesse de Victor Banse, né en 1902 à Fécamp. C’est un
témoignage direct, unique sur la vie quotidienne au début du XXème siècle dans la cité des terre-neuvas.
Ce livre a trouvé deux sources pour se construire. Tout d’abord les notes que Victor Banse a écrites au moment où il
s’est arrêté de travailler à l’imprimerie en 1982 complétées par la lecture des journaux de l’époque lors de ses nombreuses visites à la Bibliothèque du fond ancien. D’autre part, les discussions
avec sa petite fille par alliance, Laure Banse, qui, fascinée par ce que lui racontait Victor, a décidé après dix ans de gestation de réunir l’ensemble de ses souvenirs. Le plan du livre,
chronologique, part de son enfance et va jusqu’à son entrée dans l’âge adulte vers 1922. De nombreuses photos issues du fond familial mais aussi de collectionneurs privés ainsi que quelques
cartes postales illustrent les propos de Victor.
"Juste avant" de Fanny Saintenoy
Editions Flammarion - 2011
4ème de couverture
Voici un texte qui alterne poésie douce et drôlerie franche.
Par la voix d'une très vieille dame sur son lit de mort, et par celle de son arrière-petitefille, une jeune femme que la
vie moderne bouscule, cinq générations parlent. Face aux duretés de la vie, face à la mort qui sème la zizanie, leurs histoires transmettent une gaieté indéfectible.
Un premier roman, un récit court qui traverse le siècle, réussite rare de vigueur et de simplicité.
« Chère Fanny,
C'est un beau et juste texte, et d'une gaieté étrange, qui tient, je crois, à la façon dont vous rendez le bonheur d'être chez quelqu'un qui n'a pas été gâté en bonheur de vivre.
»
Daniel Pennac
EXTRAIT
Bizarrement, c'est le retour qui a été très difficile, après la folie de la Libération. Le jour où de Gaulle a descendu les
Champs-Élysées, on aurait dit que la France entière était là, de chaque côté du trottoir. On s'était mises sur notre trente et un avec ma fille. J'avais fait une folie pour l'occasion, je m'étais
payé un beau chapeau, avec une plume sur le côté, très chic. Y avait des sacrées bousculades, d'une main je tenais fort ma fille, de l'autre mon chapeau, mais ma plume est tombée et ça m'a fait
du souci toute la journée. L'histoire des grands jours envolée par la légèreté de ma plume, une si petite chose.
C'était beau cette euphorie générale mais il fallait reprendre sa vie. Paris avait des airs de ville en fête, et pourtant les gens
n'étaient plus comme avant ; ça se voyait sur les visages. On apprenait, jour après jour, tout ce qui s'était passé, tout ce qu'on n'aurait jamais voulu savoir. J'ai essayé de retrouver mon
mari. Un type m'a dit qu'il était à Buchenwald avec Louis, que mon mari faisait toujours le pitre, qu'il racontait toujours autant de bêtises. Ça m'a rassurée, je me suis dit qu'ils avaient pas
réussi à le pourrir. Un autre m'a raconté qu'il était vivant le jour de la libération du camp, par les Russes, paraît-il. Un jour j'ai cru le reconnaître, un monsieur qui lui ressemblait. Je me
suis rendu compte que j'avais presque oublié son visage.
Vidéo de présentation
chez l'éditeur.
photo©Voyelle
"Un peu de respect j'suis ta mère" de Hernan
Casciari
Editions Calmann-Levy - 2009
Traduit de l'espagnol ( Argentine) par Alexandra Carrasco
Résumé de l'éditeur
Peut-on avoir des orgasmes quand son mari, au chômage, passe son temps devant le foot à la télévision ?
Peut-on paisiblement entrer dans le troisième âge lorsque son beau-père de quatre-vingts ans se retrouve en prison pour détention de marijuana ? Et peut-on dormir tranquille lorsque son fils aîné
est tantôt gai, tantôt pas ?
Mirta Bertotti n’a vraiment pas la vie facile. C’est à Mercedes, dans la proche banlieue de Buenos Aires,
que vit cette famille complètement allumée, mais qui pourrait bien habiter sur le même palier que vous. Pour ne pas devenir folle, Mirta a décidé de créer son blog, dans lequel elle pourra
partager sa vie de dingue avec des milliers d’internautes. Ces chroniques, tendres et désopilantes, évoquent à la fois l’univers des Simpsons et de South
Park.
Un peu de respect, j’suis ta mère ! vient d’être adapté pour le théâtre (2009) et le sera au
cinéma en 2010, avec l’actrice Carmen Maura dans le rôle de Mirta Bertotti. Ce blogonovela ["blog-roman"] a été élu meilleur du monde en 2004 par la radiotélévision publique internationale
allemande Deutsche Welle.
Extrait
Cet après midi, j'ai enfin pu coincer Sofi toute seule dans la maison et j'en ai profité pour lui demander des comptes sur la
culotte à dentelle que j'ai trouvée (je n'avais pas perdu de vue ce mystère).
Je lui dis :
- Oublie que je suis ta mère, aujourd'hui je suis ton amie. Tu couches avec un garçon pas vrai ?
Non, enfin oui, mais machin et patin couffin, et la garce fini par cracher le morceau. Elle couchait pas vraiment, mais elle avait
eu des attouchements avec un certain Manija, le fils du boucher.
J'ai pris une bouffée d'air :
- Merci d'être aussi sincère, Sofi... Et maintenant, oublie une seconde que je suis ton amie, lui ai-je dit en lui filant une
torgnole qui l'a collée au frigo.
C'était il y a deux heures et j'ai encore mal à la main. De qui elle tient ça, d'être une traînée ?
"Séquestrée" de Chevy Stevens
Editions L'Archipel -2011
Résumé de l'éditeur
« Un suspense psychologique d'une noirceur extrême, dense et suffocant, qui repousse les limites du genre. »
Kirkus
« Lorsqu'un psychopathe joue au jeu du chat et de la souris avec sa victime. Un thriller d'une force inouïe. » Lisa
Gardner
Annie O'Sullivan, 32 ans, est agent immobilier sur l'île de Vancouver. Par un beau dimanche ensoleillé d'août, alors
qu'elle fait visiter une maison à un potentiel acquéreur, ce dernier lui plante le canon d'un revolver dans le dos et l'oblige à monter dans sa camionnette...
Quand Annie se réveille, elle est prisonnière dans une cabane isolée en pleine forêt. C'est le début d'un enfer qui
durera plus d'un an : douze mois où le Monstre - comme Annie le surnomme - fera d'elle sa chose. Torture psychologique, abus sexuels... : tout y passera, jusqu'à ce que la jeune femme parvienne
enfin à s'échapper.
Pourtant, le plus dur commence pour Annie, qui doit à présent surmonter son traumatisme, réapprendre à vivre normalement
sans plus dormir enfermée dans un placard, seul lieu où elle se sent en sécurité, et, surtout, accepter l'effroyable vérité : elle connaît le commanditaire de son enlèvement...
Les premières pages
"Désolations" de David Vann
Editions Gallmeister - 2011
Traduit de l'américain par Laura Derajinski
4ème de couverture
Sur les rives d’un lac glaciaire au cœur de la péninsule de Kenai, en Alaska, Irene et Gary ont construit leur vie,
élevé deux enfants aujourd’hui adultes. Mais après trente années d’une vie sans éclat, Gary est déterminé à bâtir sur un îlot désolé la cabane dont il a toujours rêvé. Irene se résout à
l’accompagner en dépit des inexplicables maux de tête qui l’assaillent et ne lui laissent aucun répit. Entraînée malgré elle dans l’obsession de son mari, elle le voit peu à peu s’enliser dans ce
projet démesuré. Leur fille Rhoda, tout à ses propres rêves de vie de famille, devient le témoin du face-à-face de ses parents, tandis que s’annonce un hiver précoce et violent qui rendra l’îlot
encore plus inaccessible.
Après Sukkwan Island, couronné par le Prix Médicis 2010, le second roman de David Vann est une œuvre magistrale
sur l’amour et la solitude. Désolations confirme le talent infini de son auteur à explorer les faiblesses et les vérités de l’âme humaine. Site de l'auteur
Les
premières pages
"Le mec de la tombe d'à côté" de Katarina Mazetti
Editions Actes Sud - Collection Poche Babel - 2009
4ème de couverture
Désirée se rend régulièrement sur la tombe de son mari, qui a eu le mauvais goût de mourir trop jeune. Bibliothécaire et
citadine, elle vit dans un appartement tout blanc, très tendance, rempli de livres. Au cimetière, elle croise souvent le mec de la tombe d’à côté, dont l’apparence l’agace autant que le
tape-à-l’oeil de la stèle qu’il fleurit assidûment. Depuis le décès de sa mère, Benny vit seul à la ferme familiale avec ses vingt-quatre vaches laitières. Il s’en sort comme il peut, avec son
bon sens paysan et une sacrée dose d’autodérision. Chaque fois qu’il la rencontre, il est exaspéré par sa voisine de cimetière, son bonnet de feutre et son petit carnet de poésie. Un jour
pourtant, un sourire éclate simultanément sur leurs lèvres et ils en restent tous deux éblouis… C’est le début d’une passion dévorante. C’est avec un romantisme ébouriffant et un humour décapant
que ce roman d’amour tendre et débridé pose la très sérieuse question du choc des cultures.
Née en 1944, Katarina Mazetti est journaliste à la radio suédoise. Auteur de livres pour la jeunesse et de romans
pour adultes, elle a rencontré un succès phénoménal avec Le Mec de la tombe d’à côté, traduit en de nombreuses langues. Son oeuvre est publiée en France par les éditions
Gaïa.
Les
premières pages
"L'indésirable" de Sarah Waters
Editions Poche 10/18 - 2011
Traduit de l'Anglais par Alain Defossé
4ème de couverture
Depuis la Seconde Guerre mondiale, la demeure d'Hundreds Hall n'est plus que
l'ombre d'elle-même : loin de sa splendeur passée, d'étranges événements se succèdent et distillent entre les murs un vent de terreur. Faraday, médecin de campagne, assiste la famille Ayres qui
s'efforce de cacher la débâcle. À moins que le coeur du manoir ne soit rongé par un lugubre secret...
« Il semblerait qu'avec cette romancière particulièrement douée, les derniers vestiges du gothique aient fini par s'écrouler. »
François Rivière, Le Figaro littéraire
Née en 1966 au pays de Galles, Sarah Waters a été libraire, puis enseignante. Dès son
premier roman, Caresser le velours, qui a été adapté à la télévision par la BBC, elle devient l'égérie des milieux gays. Avec son deuxième roman, Affinités, elle obtient le prix
du Jeune Écrivain de l'année 2000 délivré par le Sunday Times. La publication de son troisième roman, Du bout des doigts, qui a remporté le Somerset Maugham Prize, marque sa
consécration. Élue « auteur de l'année » par le Sunday Times, elle reçoit en 2003 le prix des Libraires et le British Book Awards, et figure sur la liste des « vingt meilleurs jeunes
romanciers anglais » établie par la revue Granta. Sarah Waters vit aujourd'hui à Londres. L'Indésirable est son dernier roman paru.
EXTRAIT
J'avais dix ans quand je vis Hundreds Hall pour la première fois. C'était l'été qui suivit la guerre, les Ayres
possédaient encore presque tout leur argent et demeuraient des gens importants dans la région. Nous fêtions l'Empire Day : je me tenais aligné avec d'autres enfants du village, figé dans le salut
du boy-scout, tandis que Mrs Ayres et le colonel passaient devant nous, distribuant à chacun une médaille commémorative ; après quoi nous nous installâmes avec nos parents pour prendre le thé,
assis à de longues tables dressées sur ce qui était, je suppose, la pelouse sud. Mrs Ayres devait avoir vingt-quatre ou vingt-cinq ans, son époux quelques années de plus ; leur petite fille,
Susan, environ six ans. J'imagine qu'ils formaient une famille ravissante, mais mon souvenir est incertain. Je me souviens beaucoup mieux de la maison elle-même, qui m'apparut comme un véritable
manoir. Je revois les détails architecturaux portant la trace du temps : la brique rouge patinée, les vitres inégales des fenêtres, les pierres d'angle de grès usé. Ils concouraient à rendre le
bâtiment presque flou, vaguement irréel - comme une glace qui commence à fondre au soleil, me dis-je.
Bien sûr, on ne pénétrait pas à l'intérieur. Les portes et
portes-fenêtres étaient ouvertes, mais chacune barrée par une corde ou un ruban ; les toilettes destinées à notre usage étaient celles des domestiques et des jardiniers, dans la dépendance
abritant les étables. Toutefois, ma mère avait conservé des amies parmi les servantes et, une fois le thé pris et les gens libres de se promener à leur guise dans le parc, elle me conduisit
discrètement à l'intérieur de la maison par une porte latérale, et nous y passâmes un moment avec la cuisinière et ses aides. Cette visite m'impressionna terriblement. La cuisine se trouvait en
sous-sol, et l'on y accédait par un couloir voûté, frais, qui n'était pas sans évoquer les châteaux à oubliettes. Un nombre extraordinaire de gens semblaient sans cesse aller et venir, chargés de
plateaux et de paniers d'osier. Les filles de cuisine avaient une telle quantité de vaisselle à laver que ma mère roula ses manches pour les aider ; et à ma plus grande joie, je fus autorisé, en
remerciement de son geste, à piocher à mon gré dans les saladiers de gelée et autres gâteaux revenus intacts de la fête au-dehors. On m'installa à une table de sapin et on me mit dans la main une
cuiller tirée du tiroir personnel de la famille - une lourde cuiller d'argent terni, presque plus grande que ma bouche.
"Limonov" d'Emmanuel Carrère
Editions P.O.L - 2011
4ème de couverture
«Limonov n’est pas un personnage de fiction. Il existe. Je le connais. Il a été voyou en Ukraine ; idole de
l’underground soviétique sous Brejnev ; clochard, puis valet de chambre d’un milliardaire à Manhattan ; écrivain branché à Paris ; soldat perdu dans les guerres des Balkans ;
et maintenant, dans l’immense bordel de l’après-communisme en Russie, vieux chef charismatique d’un parti de jeunes desperados. Lui-même se voit comme un héros, on peut le considérer comme un
salaud : je suspends pour ma part mon jugement.
C’est une vie dangereuse, ambiguë : un vrai roman d’aventures. C’est aussi, je crois, une vie qui raconte quelque chose.
Pas seulement sur lui, Limonov, pas seulement sur la Russie, mais sur notre histoire à tous depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. » E.C.
Les premières
pages
"La femme au miroir" d'Eric-Emmanuel SCHMITT
Editions Albin Michel - 2011
4ème de couverture
Anne vit à Bruges au temps de la Renaissance, Hanna dans la Vienne impériale de Sigmund Freud, Anny à Hollywood de nos
jours. Toutes trois se sentent différentes de leurs contemporaines ; refusant le rôle que leur imposent les hommes, elles cherchent à se rendre maîtresses de leur destin. Trois époques. Trois
femmes : et si c'était la même ?
EXTRAIT
Je me sens différente, murmura-t-elle.
Personne ne prêtait attention à ses mots. Tandis que les matrones s'agitaient autour d'elle, celle-ci arrangeant un voile,
celle-là une tresse, cette autre un ruban, alors que la mercière raccourcissait son jupon et que la veuve de l'arpenteur lui enfilait des chaussons brodés, la jeune fille immobile avait
l'impression de devenir un objet, un objet passionnant certes, assez affriolant pour mobiliser la vigilance des voisines, un simple objet cependant.
Anne contempla le rayon de soleil qui, jailli de la fenêtre trapue, traversait la pièce en oblique. Elle sourit. La mansarde, dont
ce jet d'or trouait la pénombre, ressemblait à un sous-bois surpris par l'aube, où les paniers de linge remplaçaient les fougères, les femmes les biches. Malgré les bavardages incessants, Anne
écoutait le silence voler dans la chambre, un silence étrange, paisible, touffu, lequel venait de loin et délivrait un message sous les jacasseries des commères.
Anne tourna la tête en espérant qu'une des bourgeoises l'avait entendue mais elle n'attrapa aucun regard ; condamnée à subir leurs
obsessions décoratives, elle douta d'avoir bien prononcé cette phrase : "Je me sens différente."
Que pouvait-elle ajouter ? Elle allait se marier tout à l'heure, pourtant, depuis son éveil, elle n'était sensible qu'au printemps
qui déboutonnait les fleurs. La nature l'attirait davantage que son fiancé. Anne devinait que le bonheur se cachait dehors, derrière un arbre, tel un lapin ; elle voyait le bout de son nez, elle
percevait sa présence, son invite, son impatience... En ses membres, elle éprouvait une démangeaison de courir, de rouler dans l'herbe, d'embrasser les troncs, d'inspirer à pleine poitrine l'air
poudré de pollen. Pour elle, l'événement du moment, c'était le jour lui-même, frais, éblouissant, généreux, non ses épousailles. Ce qui lui arrivait - s'unir à Philippe - s'avérait dérisoire par
rapport à cette splendeur, avril qui affermit champs et forêts, la force nouvelle qui épanouit coucous, primevères, chardons bleus. Elle désirait fuir ce réduit où se déroulait la préparation
nuptiale, s'arracher aux mains qui la rendaient plus jolie et se jeter nue dans la rivière si proche.
A l'opposé de la croisée, le faisceau de lumière avait accroché en ombre la dentelle du rideau sur la chaux inégale. Anne
n'oserait jamais troubler ce fascinant rayon. Non, lui annoncerait-on que la maison brûlait, elle resterait figée sur ce tabouret.
Elle frémit.
- Que dis-tu ? demanda sa cousine Ida.
- Rien.
- Tu rêves de lui, c'est ça ?
Anne baissa le front.
La future mariée confirmant ses soupçons, Ida éclata d'un rire aigu, farci de pensées lubriques. Ces dernières semaines, elle
luttait contre sa jalousie et n'y parvenait qu'en la convertissant en moquerie égrillarde.
- Anne se croit déjà dans les bras de son Philippe ! proclama-t-elle d'une voix oppressée à la cantonade. La nuit de noces va être
chaude. Moi, je ne voudrais pas me trouver à la place de leur matelas ce soir.
Les femmes grognèrent, les unes pour donner raison à Anne, les autres pour stigmatiser la trivialité d'Ida.
Soudain la porte s'ouvrit.
Majestueuses, théâtrales, la tante et la grand-mère d'Anne entrèrent.
- Tu vas enfin connaître, mon enfant, ce que ton mari verra, clamèrent-elles en choeur.
Comme si elles dégainaient un poignard des plis de leur robe noire, les veuves sortirent deux boîtes en ivoire ciselé qu'elles
entrebâillèrent délicatement : chaque coffret recelait un miroir cerclé d'argent. Un bruissement de surprise accompagna cette révélation, les présentes estimant qu'elles assistaient à un
spectacle hors du commun : les miroirs n'appartenant pas à leur vie quotidienne, si, par exception, l'une en possédait un, c'était un miroir d'étain, en métal poli, bombé, offrant des images
embuées, bosselées, ternes ; ici, les miroirs de verre reproduisaient la réalité avec des traits nets, des couleurs vives.
On cria d'admiration.
Les deux magiciennes reçurent les compliments, les yeux clos, puis, sans tarder, accomplirent leur mission. Tante Godeliève se
positionna en face d'Anne, grand-mère Franciska à l'arrière de sa nuque, chacune tenant son instrument à bout de bras à l'instar d'un bouclier. Solennelles, conscientes de leur importance, elles
expliquèrent à la jeune fille le mode d'emploi :
- Dans le miroir de devant, tu apercevras celui de derrière. Ainsi tu pourras te découvrir de dos ou de profil. Aide-nous à nous
placer correctement.
Ida s'approcha, envieuse.
- Où les avez-vous dénichés ?
- La comtesse nous les a prêtés.
Toutes applaudirent l'astuce de l'initiative : seule une dame noble jouissait de pareils trésors car les colporteurs, par peur du
chapardage, ne proposaient pas ces articles aux gens du peuple, trop pauvres.
Anne jeta un oeil à l'intérieur du cadre rond, considéra ses traits intrigués, apprécia les savantes torsades qui pliaient ses
cheveux blonds pour élaborer une coiffure raffinée, s'étonna d'avoir un cou si long, des oreilles si menues. Cependant, elle éprouvait une impression bizarre : si elle ne voyait rien de
déplaisant dans le miroir, elle n'y voyait rien de familier non plus, elle contemplait une étrangère. Sa figure inversée, de face, de côté ou de dos, pouvait être la sienne autant que celle d'une
autre ; elle ne lui ressemblait pas.
- Es-tu contente ?
- Oh oui ! Merci.
C'était à la sollicitude de sa tante qu'Anne avait répondu ; peu vaniteuse, elle avait déjà oublié l'expérience du
miroir.
- Mesures-tu ta chance ? glapit grand-mère Franciska.
- Que si, protesta Anne, je suis fortunée de vous avoir.
- Non, je parlais de Philippe. On ne trouve quasi plus d'hommes de nos jours.
Les voisines opinèrent du bonnet, graves. Rien de plus rare que les mâles à Bruges. La ville n'avait jamais subi une telle
pénurie... Les hommes avaient disparu. Que restait-il ? Un gaillard pour deux femelles ? Peut-être même un pour trois. Pauvre Flandre, un phénomène mystérieux l'accablait : la disette de sexes
virils. En quelques décennies, la population masculine avait diminué de façon préoccupante dans le nord de l'Europe. Beaucoup de femmes devaient se résoudre à vivre en célibataires ou ensemble en
béguinage ; certaines renonçaient à la maternité ; les plus vigoureuses apprenaient des métiers d'Hercule, la ferronnerie ou la menuiserie, afin qu'on ne manquât de rien.
Percevant un blâme dans le ton de son amie, la mercière la fixa avec sévérité.
- C'est Dieu qui l'a voulu !
Grand-mère Franciska tressaillit, craignant qu'on l'accusât de blasphème. Elle se corrigea :
- Naturellement que c'est Dieu qui nous a envoyé cette épreuve ! C'est Dieu qui a appelé nos hommes aux croisades. C'est pour Dieu
qu'ils meurent en combattant les infidèles. C'est Dieu qui les noie en mer, sur la route, au fond des bois. C'est Dieu qui les tue au travail. C'est Dieu qui les rappelle avant nous. C'est Lui
qui nous inflige de croupir sans eux.
Anne comprit que grand-mère Franciska détestait Dieu ; exprimant plus d'effroi que d'adoration, elle Le décrivait comme un
pillard, un bourreau, un assassin. Or il ne semblait pas à Anne que Dieu fût cela, ni qu'Il opérât là où l'aïeule Le voyait intervenir.
- Toi, ma petite Anne, reprit la veuve, tu auras une vie de femme à l'ancienne : un homme à toi, de nombreux enfants. Tu es
bienheureuse. En plus, il n'est pas vilain, ton Philippe... N'est-ce pas, mesdames ?
Elles acquiescèrent en riant, les unes gênées, les autres émoustillées d'avoir à se prononcer sur ce genre de sujet. Philippe,
seize ans, était l'exemple du robuste garçon flamand, solide, long de jambes, étroit de taille, large d'épaules, la peau beige et la toison houblon.
Tante Godeliève s'écria :
- Savez-vous que le fiancé est dans la rue, qu'il guette sa promise ?
- Non ?
- Il sait que nous la préparons, il bout sur place. De l'eau sur le feu ! Si l'on mourait d'impatience, je crois qu'il serait
mort.
Anne s'approcha de la fenêtre dont on avait ouvert le châssis en papier huilé pour laisser entrer le printemps ; prenant soin de
ne pas couper le rayon lumineux, elle se pencha de côté et repéra sur le pavé gras Philippe, la gaîté aux lèvres, qui palabrait avec ses amis venus de Bruges à Saint-André, village où logeait
grand-mère Franciska, à une lieue de la grande cité. Oui, vérifiant périodiquement l'ultime étage du logis, il l'attendait, fervent et guilleret.
Cela lui réchauffa le coeur. Elle ne devait point douter !
Anne habitait Bruges depuis un an. Auparavant, elle n'avait connu qu'une ferme isolée, au nord, sous les nuages écrasants, au
milieu des terres plates, malodorantes, humides ; elle y avait vécu avec sa tante et ses cousines, son unique famille puisque sa mère était morte en la mettant au monde sans révéler l'identité du
père. Tant que son oncle avait dirigé l'exploitation, elle ne s'en était jamais éloignée ; au décès de l'oncle, tante Godeliève avait décidé de regagner Bruges où résidaient ses frères. Non loin,
sa mère Franceska coulait ses derniers jours à Saint-André.
Si, pour Godeliève, Bruges avait représenté un rassurant retour aux sources, pour Anne, Ida, Hadewijch et Bénédicte - ses trois
cousines -, cela avait constitué un choc : de campagnardes, elles étaient devenues citadines ; et de filles, jeunes filles.
Ida, l'aînée, déterminée à vite lier son sort à un homme, avait abordé les rares garçons disponibles avec une fougue et une audace
quasi viriles qui l'avaient desservie. Ainsi Philippe, courtisé dans l'échoppe de souliers où il travaillait, après avoir répondu aux saluts d'Ida, entreprit la conquête d'Anne, lui offrit chaque
matin une fleur, révélant sans vergogne à Ida qu'elle lui avait servi de marchepied pour atteindre sa cousine.
Face à cette manoeuvre - somme toute banale -, Ida avait conçu davantage de dépit qu'Anne de fierté. Celle-ci ne portait pas le
même regard sur les êtres que ses compagnes : alors que les demoiselles voyaient un éclatant gaillard dans l'apprenti cordonnier, Anne apercevait un enfant qui venait de grandir, haut perché sur
ses jambes, surpris par ce nouveau corps qui se cognait aux portes. Il l'apitoyait. Elle décelait en lui ce qu'il tenait d'une fille - ses cheveux, sa bouche tendre, son teint pâle. Sous sa voix
basse, timbrée, elle entendait, au détour d'une inflexion, dans l'hésitation de l'émotion, les échos de la voix aiguë du gamin qu'il avait été. Lorsqu'elle allait au marché en sa compagnie, elle
contemplait en lui un paysage humain, ondoyant, instable, qui se transformait ; et c'était à cela, surtout, qu'elle s'attachait, elle que passionnait la pousse d'une plante.
"Veux-tu me rendre heureux ?" Un jour, Philippe lui avait posé cette question. En rougissant, elle avait réagi, prompte, sincère
:
"Oui, bien sûr !
- Heureux, heureux ? implora-t-il.
- Oui.
- Sois ma femme."
Cette perspective l'enchanta moins : quoi, lui aussi ? Voilà qu'il raisonnait comme sa cousine, comme les gens qui l'assommaient,
qui l'ennuyaient. Pourquoi cette convention ? Spontanément, elle négocia :
"Ne crois-tu pas que je puisse te rendre heureux sans t'épouser ?"
Il s'écarta, suspicieux.
"Es-tu ce genre de fille ?
- De quoi parles-tu ?"
Parfois, les garçons montraient des réactions incompréhensibles... Qu'avait-elle dit de scandaleux ? Pourquoi fronçait-il les
sourcils en la dévisageant ?
Après une pause, il sourit, soulagé de constater qu'aucune malice ne se cachait derrière la proposition d'Anne.
Il reprit :
"Je souhaiterais me marier avec toi.
- Pourquoi ?
- Tout homme a besoin d'une femme.
- Pourquoi moi ?
- Parce que tu me plais.
- Pourquoi ?
- Tu es la plus jolie et...
- Et ?
- Tu es la plus jolie !
- Alors ?
- Tu es la plus jolie !"
Puisqu'elle l'avait sondé sans coquetterie, le compliment n'engendra nulle vanité en elle. De retour chez sa tante, ce soir-là,
elle s'interrogea seulement : "Jolie, cela suffit-il ? Lui beau, moi jolie."
Le lendemain, elle le pria d'éclaircir sa pensée :
"Pourquoi toi et moi ?
- Toi et moi, avec nos physiques, nous fabriquerons des enfants magnifiques !" s'exclama-t-il.
Allons bon, Philippe confirmait ce qu'elle redoutait ! Il tenait un langage d'éleveur, celui du fermier accouplant ses meilleures
bêtes afin qu'elles se multiplient. Entre les humains, c'était donc cela, l'amour ? Rien d'autre ? Si elle avait eu une mère pour en discuter...
Se reproduire ? Voilà ce pour quoi les femmes qui l'entouraient affichaient tant d'impatience. Même l'indomptable Ida
?
A cette demande en mariage, Anne, songeuse, ne répondit pas. L'ardent Philippe lut un consentement dans cette
placidité.
Avec ivresse, il commença à annoncer leur union, confiant son aubaine à chacun.
Dans la rue, on félicita Anne, laquelle, surprise, ne démentit pas. Ensuite, ses cousines la congratulèrent, y compris Ida qui se
réjouissait que sa séduisante cousine disparût du marché des rivales. Enfin, tante Godeliève battit des mains, jubilante, les paupières débordant de larmes, apaisée d'avoir accompli son devoir -
emmener la fille de sa regrettée soeur jusqu'à l'autel. En face de cette âme charitable, pour éviter de la décevoir, Anne, piégée, se contraignit au mutisme.
Ainsi, faute de déni, le malentendu prit les couleurs d'une vérité : Anne allait épouser Philippe.
Chaque jour, elle trouvait plus farfelu que ses proches manifestassent un tel enthousiasme. Persuadée qu'un élément essentiel lui
échappait, elle laissa Philippe s'enhardir, l'embrasser, la serrer.
"Tu n'aimeras que moi, rien que moi !
- Impossible, Philippe. J'en aime déjà d'autres.
- Pardon ?
- Ma tante, mes cousines, grand-mère Franciska.
- Un garçon ?
- Non. Mais j'en connais peu, j'ai manqué d'occasions."
Quand elle lui fournissait ces précisions, il la considérait, méfiant, incrédule ; puis, parce qu'elle soutenait son regard sans
ciller, il finissait par éclater de rire.
"Tu me fais marcher et moi je galope ! Oh, la vilaine qui m'effraie... Quelle rusée ! Tu sais te débrouiller, toi, avec un homme,
pour qu'il s'entête, qu'il s'entiche davantage, qu'il ne pense qu'à toi."
Saisissant mal son raisonnement, elle n'insistait pas, d'autant que, dans cet état de trouble, il se collait à elle, l'oeil
brillant, la lèvre frémissante ; or elle prenait plaisir à fondre entre ses bras, elle appréciait sa peau, son odeur, la fermeté de son corps fiévreux ; plaquée contre lui, enivrée, elle
éloignait ses doutes.
Dans la mansarde, une ombre s'étira. La densité de la chambre avait changé.
"Le chemin de Corinthe" d'Andrzej Kusniewicz
Editions Albin Michel - 1992
Traduit du Polonais par H.A.Clément
Romancier et poète polonais, Andrzej Kuśniewicz est né à Sambor, en Galicie orientale. Après avoir voyagé en Autriche,
en France, en Italie et en Afrique du Nord, il fait son droit à Cracovie et entre en 1936 dans la carrière diplomatique. Il retrouve l'étranger avec la Tchécoslovaquie, la Hongrie et la France,
où la guerre le surprend. Engagé dans la Résistance française, il est arrêté par les Allemands en 1943 et envoyé en camp de concentration. À la Libération, il reprend ses activités de diplomate
avant de rentrer définitivement en Pologne en 1950. En 1969, il est admis à la rédaction de la revue littéraire Miesiecznik literacki.
en savoir plus et extraits